Miscéllanées Centrafricaines

Par Susan CARTER-JONES l LNC

(Bangui, le 01 October 2025 - LNC) Le 26 Juillet 2025,Touadéra a levé le voile sur un secret de Polichinelle : il briguera un nouveau mandat à la tête de la République Centrafricaine. Diacre devenu professeur de mathématiques, puis chef d'État à l'issue de la transition de 2016, il entend s'accrocher au pouvoir, fort d'une réforme constitutionnelle taillée sur mesure. Un retour aux urnes, prévu le 28 décembre, qui s'annonce sous tension dans un climat sécuritaire précaire, miné par les violences armées, et les fragilités internes du régime. En s'ouvrant à cette option, Touadéra ne déroge pas au syndrome presque coutumier du troisième mandat. Concrètement, ce scénario est permis par une réforme de la Constitution adoptée par voie de référendum en 2023. Selon les chiffres officiels, le nouveau texte avait été plébiscité à plus de 95 %, en fait, c'esi 57 % du corps électoral. « Avant le vote, la Cour constitutionnelle avait pourtant indiqué qu'aucune révision ni modification de l'ancienne Constitution de 2016 n'était possible. Le texte que nous connaissons depuis 2023 est donc parfaitement illégal », dénonce Adrien Poussou, ancien ministre centrafricain de la Communication, redevenu simple observateur politique. Après deux saisines de la plus haute juridiction du pays, le conseil des sages s'était en effet opposé à une révision. En guise de réponse, sa présidente d'alors, Danièle Darlan, avait tout bonnement été démise de ses fonctions par décret de Touadéra. En dépit de promesses formulées sur la Bible au moment de son premier mandat, la réforme de 2023 voulue par le président de la République a instauré un septennat renouvelable indéfiniment. Fort de ces nouvelles règles, son parti, le Mouvement cœurs unis (MCU), se met en ordre de bataille, épaulé par une « coalition Touadéra 2025 ». De novembre 2024 à juillet 2025, l'Autorité nationale des élections (ANE) a mené une campagne d'enrôlement qui aurait permis d'inscrire plus de 750 000 nouveaux individus sur la liste électorale. Un argument qui n'empêche pas Jean-François Akandji-Kombé – professeur franco-centrafricain à l'université Panthéon-Sorbonne et spécialiste des droits africains – de dénoncer l'absence de chronogramme précis à quelques mois de l'échéance. « Nous sommes dans l'antichambre d'une crise. Si elles souhaitent observer une élection libre, les autorités n'ont pas d'autre choix que de reporter », poursuit-il. « On a le sentiment que cette élection risque de ne pas avoir lieu. » Si Adrien Poussou abonde également en ce sens, c'est que la communauté internationale rechigne toujours à financer un processus électoral qu'elle présume défaillant. Et il y a de quoi. Voilà maintenant quatre décennies que la Centrafrique n'a pas connu d'élections au niveau local. En juin dernier, Yao Agbetse, expert indépendant diligenté par les Nations unies, rapportait des dysfonctionnements au sein de l'ANE. « Le registre électoral doit être finalisé avant le 28 septembre. Au rythme actuel, il est peu probable que ces délais soient respectés, ce qui ébranle la confiance dans le processus », estimait l'avocat. Crainte partagée par une opposition aujourd'hui à la marge du scrutin. Pour l'heure, seul l'ancien Premier ministre Henri-Marie Dondra s'est officiellement lancé dans la course à la présidentielle sous la bannière du parti Unité républicaine (Unir). Pour Anicet-Georges Dologuélé, arrivé au second tour contre Touadéra en 2016, le sort est tout autre. « La réforme de 2023 exige l'exclusivité de la nationalité centrafricaine ainsi que deux parents originaires de Centrafrique pour toute personne souhaitant se porter candidat », précise le Pr. Akandji-Kombé. Depuis Dologuélé a renoncé à sa nationalité Françatse. Même cas de figure pour l'ancien Premier ministre Martin Ziguélé, dont la mère se trouve être tchadienne. Depuis plusieurs mois, Ziguélé assure le porte-parolat du Bloc républicain pour la défense de la Constitution (BRDC), dont le leitmotiv tient à l'empêchement d'un troisième mandat et l'organisation d'un dialogue national. Concernant l'ex-président François Bozizé, « [celui-ci] appartient au passé, estime Adrien Poussou, pragmatique. Il vit exilé et n'a plus la main sur la Coalition des patriotes pour le changement (CPC). Il ne lui reste plus qu'à négocier pour finir ses vieux jours en Centrafrique ». En effet, le mouvement CPC – intimement lié à Bozizé – a récemment perdu un soutien primordial. Les 3R et l'UPC, ses deux groupes armés les plus puissants, viennent de signer un accord de paix (sous l'égide du Tchad) les ramenant à la table des négociations avec l'État centrafricain. Un calendrier qui, à 3 mois du supposé scrutin, ne doit rien au hasard. Car en Centrafrique, sécurité et politique sont les deux faces d'une même pièce. Lors du conflit intercommunautaire de 2013-2014, l'ensemble de rebelles à majorité musulmane nommé Séléka avait renversé le président François Bozizé. Face à eux s'étaient opposées les milices dites anti-Balaka. Malgré une transition politique et plus de 3 000 victimes, la tension sécuritaire n'a jamais disparu. De sorte qu'une quinzaine de groupes armés demeurent actifs, se finançant pour l'essentiel grâce au trafic de ressources naturelles ; à l'instar de l'or ou des essences de bois. À partir de 2014, une mission de maintien de la paix de l'ONU a bien été déployée. Mais l'efficacité de la Minusca fait l'objet de vives critiques alors que 5 Casques bleus ont été morts par noyade. « Nous connaissons une économie du chaos qui profite aux groupes armés, et en fin de compte à Touadéra qui l'instrumentalise », analyse le Pr. Akandji-Kombé. Aujourd'hui encore, le pouvoir central contrôle difficilement les territoires à par les grandes agglomérations. Dans ce contexte, c'est pour assurer sa propre sécurité que Faustin Touadéra avait fait appel dès 2018 aux mercenaires de Wagner. Mais depuis le décès de leur leader, Evgueni Prigojine, le millier de mercenaires qui règnent en maître sur Bangui et certaines concessions minières connaissent une impasse. Moscou souhaite supplanter Wagner avec son organisation Africa Corps, monnayant quinze millions de dollars par mois. « Il y a une véritable alliance d'intérêts entre Touadéra et Wagner puisque chacun joue sa survie », note ainsi l'universitaire. En vue de la présidentielle, une réconciliation nationale fondée sur la justice s'impose aussi comme un enjeu de taille. À ce titre, le récent accord de paix signé avec les deux groupes armés a pu être perçu négativement par la population. Pour sa part, Adrien Poussou y voit une « prime à la rébellion », permettant une « ascension politique » par la violence. En juillet 2025, soit au même moment, la Cour pénale internationale condamnait deux anciens chefs anti-Balaka à de lourdes peines. À la lumière de cette actualité, certains Centrafricains accusent une justice à deux vitesses, favorable aux ex-Séléka. Autre question en suspens, celle des presque 700 000 réfugiés centrafricains que recense le Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies. Répartis dans les pays limitrophes, Cameroun et RDC en tête, ceux-ci sont de fait exclus du scrutin à venir. Leur poids est pourtant potentiellement déterminant pour un pays où environ 2,4 millions de ressortissants seraient à ce jour inscrits sur la liste électorale.

By: LNC

Date: October 01st, 2025

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